Rahhal, licencié de littérature arabe, peu loquace et solitaire, sans orientation politique et intellectuelle claires, ne court pas après la gloire et n’a pas d’ambition, persuadé que le mauvais œil poursuit sa famille. Effacé de la vie sociale et spectateur de la vie des autres et de la sienne, il recourt régulièrement à la violence en rêves lorsqu’il est dévoré par son sentiment d’infériorité. Le récit progresse, de la fin des années 1990 au début des années 2000, sur le chemin de son intégration sociale laborieuse jusqu’à ce qu’il se voit confier la gestion d’un cybercafé. Cette occasion d’entrer dans l’arène électronique et de maîtriser l’arme ultime des réseaux sociaux, comble son désir de s’immiscer dans les vies des gens et de se créer plusieurs existences virtuelles. Il s’extrait ainsi de la lassitude de sa vie monotone en utilisant les mots comme des balles tirées à blanc dans le cosmos facebookien. Dans ce roman, aucun microcosme n’est épargné (universitaires, politiques, médias, entrepreneurs …) à travers un fourmillement d’anecdotes bien souvent ubuesques du quotidien des hommes et des femmes notamment du quartier Massira à Marrakech. Dans un style truculent, l’auteur nous invite à découvrir un Maroc à la fois connecté et replié sur lui-même. Il secoue, avec intelligence et humour, usant de métaphores zoologiques, le kaleidoscope contrasté de la société marocaine à travers le prisme de la ville de Marrakech entre paillettes et misère, exode rural gonflant la périphérie et développement des entreprises modernes. Un auteur marocain contemporain à découvrir !
Ce roman, porté par la voix d’outre-tombe de sa narratrice, Sarah, 40 ans, nous saisit par les tripes, en déroulant les 20 dernières années de sa vie, succession de chutes joyeuses dans le grand bain de la vie jusqu’à celle dont on ne se relève jamais. Tombée devant les roues d’une voiture, à 20 ans, en perte de goût de vivre, tombée en amour à 30 ans dans les bras de l’homme de sa vie, tombée enceinte une fois, deux fois et tombée malade à 40 ans. Nous suivons, en apnée, le fil de sa vie courte et vibrante, narrée dans un style sans concession, brut et fugace comme le bonheur et le malheur foudroyant tour à tour. Nous sommes nous aussi accompagnés par une main de fer, celle de Théo, son compagnon qui ne la lâche pas. Surplombant le monde des vivants, de ceux qui lui sont chers, Sarah prend de la hauteur et nous laisse comme en apesanteur jusqu’à l’ultime épreuve, celle d’une maladie mortelle. Son énergie nous entraîne à cœur et à corps perdus dans une vie dont le fourmillement des petits riens connecte les uns et les autres pour le meilleur, laissant le pire à la faute à pas de chance. La pudeur de l’auteur de ce premier roman, s’inspirant de faits autobiographiques s’efface derrière cette voix féminine en lui rendant là un bel hommage : « se faire oublier des vivants » pour autoriser la résilience des êtres chers qui demeurent dans la vie. Une telle leçon de courage entre rage et détermination force le respect. La littérature permet cela : une arme de destruction massive pour conjurer le sort des vivants et donner la parole aux morts. Il est juste que ce livre soit lu par le plus grand nombre d’âmes sensibles !
Ce premier roman s’inspire d’un fait divers, l’assassinat d’une famille dans un chalet, en 2003 au Grand-Bornand. Au-delà du sordide, de l’indicible et de l’incompréhensible, l’auteur réussit la prouesse de nous mettre à hauteur du meurtrier, par la voix de la narratrice, sa femme. En reprenant le fil de leur histoire, celle-ci retrace les faits, sans réquisitoire, jusqu’à l’acte ultime, dans un style incisif, décrivant au scalpel les relations que les deux familles ont nouées : de l’apparente facilité jusqu’à l’ambiguïté la plus subtile. La force de ce court récit réside dans la description clinique de ce qui amène quelqu’un à commettre un acte irréparable : il nous installe comme sur une table d’opération à la recherche du moindre indice qui permettrait d’éclairer les causes d’un carnage à huit clos, avec toutes les incertitudes et les nuances liées à la complexité de la nature humaine.
Ce livre raconte l’histoire de 4 générations de femmes : Qayah, l’arrière-grand-mère, Qana, la grand-mère, Qadar, la mère et Qamar, la fille. Du génocide arménien en Turquie, à la guerre en Syrie, en passant par la 1ère guerre israëlo-palestinienne et la guerre civile au Liban, ces femmes sont contraintes aux exodes, exils, séparations, pertes et deuils. Entre exercices de prédiction du passé, résilience et folie, ces combattantes font des pieds de nez aux destins. Le récit est émaillé de journaux intimes sous la forme de lettres d’adieux qui témoignent de leur enfermement dans un interminable tunnel de conflits à répétition. De nombreuses questions y sont abordées : le déracinement, la filiation, la mémoire et les traumatismes trans-générationnels (« Ceux que la guerre n’a pas tués sont des cadavres vivants ou des victimes différées »). La romancière rend ainsi un magnifique hommage aux femmes de sa famille qui ont payé le prix d’être nées sur des territoires et dans des communautés religieuses et culturelles qu’elles n’ont pas choisis. Un livre malheureusement troublant d’actualité !
Ce roman est inspiré d’un fait réel, survenu en juillet 2014 en mer Méditerranée : un chalutier transportant illégalement 750 hommes, femmes et enfants jetés sur les routes de l’exil, a subi une violente tempête et une rixe à bord, entraînant la mort de 181 personnes. Le récit débute alors que trois femmes attendent dans un entrepôt, à Sabratha en Libye pour embarquer afin d’atteindre les côtes italiennes. Il se poursuit par des aller-retour sur les parcours de chacune : Chochana, la nigériane juive que la sécheresse qui sévit dans le nord du pays pousse à chercher du travail ailleurs ; Sembar, l’erythréenne catholique qui ne peut plus composer avec le régime dictatorial de son pays et Dima, la syrienne musulmane qui a perdu sa maison dans les bombardements d’Alep. Toutes cherchent à mettre l’horloge de leur vie à l’endroit, après avoir vécu des traumatismes : à la recherche d’une terre ferme où ancrer leur jeunesse, leur famille, leur vie et leurs rêves. La traversée de la Méditerranée s’avère très périlleuse, en raison à la fois de mauvaises conditions climatiques, mais aussi des dispositions prises pour leur transport : les subsahariens entassés dans une cale réduite et les arabes sur le pont, exposés aux vagues glacées. Dans une langue fluide, rythmée et efficace, l’auteur nous entraîne dans les bruits, les odeurs mêlées et les ressentis des trois femmes jusqu’au débarquement sur une plage de la Baie de Messine sur l’île de Lampedusa. Un récit poignant !