L’histoire a pour toile de fond les relations entre Hitler et Speer, un jeune architecte dans les années 30 en Allemagne, fasciné par le destin promis par la politique du IIIème Reich. L'intérêt du roman réside dans des questionnements soulevés : quelle est la part de zone grise dans un homme ayant côtoyé un système totalitaire, raciste et destructeur, comment les monstres exercent une fascination pour les journalistes (ou la frontière ténue entre intérêt intellectuel et attrait irrésistible). Une fin surprenante comme un pied de nez au lecteur qui a été baladé par l'auteur, libre de faire des digressions et des incises sur son métier d'écrivain. Il a cependant manqué à ce récit une dose de romanesque pour véritablement s'attacher à cet architecte qui a échappé à la condamnation à mort lors du Procès de Nuremberg.

Le roman s'ouvre sur la mort de Marianne à 20 ans qui laisse son frère cadet de 16 ans, ses parents séparés depuis longtemps et son amie d'enfance dans un état de sidération. Tous vont déployer des efforts désespérés pour survivre à sa mort. Leur univers a bifurqué : comment remettre de l'ordre dans leur vie ? Nous accompagnons pendant plusieurs années les dialogues intérieurs de chacun. L'originalité de la narration réside dans la présence de la Muse qui guide l'inspiration de l'autrice qui nous fait rentrer dans les coulisses du roman en train de s'écrire. Style profond et délicat. Une belle surprise !

La réputation du restaurant Artinos à Alexandrie a résisté à tous les changements politiques intervenus en Egypte. Propre, raffiné, distingué, le personnel est irréprochable et les menus sont exquis. Chaque client qui entre se sent respecté et chaleureusement accueilli. Sous le régime révolutionnaire socialiste de Nasser au pouvoir depuis 1952, un groupe d'amis, baptisé le Caucus, s'y retrouve à l'étage après minuit : Chantal, la libraire française, Tony, l'entrepreneur chocolatier philanthrope, Neamat, la danseuse rebelle, Anas, le peintre à la recherche de portraits, Adli, le portier d'une boîte de nuit, Carlos, le gigolo, Abbas l'avocat... L'auteur croque la société cosmopolite d'Alexandrie, à travers ces personnages qui tentent de préserver leur discernement, leur pensée indépendante, "comme les passagers de l'Arche de Noé", sauvés du déluge de l'hystérie collective. C'est toujours un régal de lire El Aswani qui ne cesse de creuser le sillon de la société égyptienne à différentes périodes politiques.

Une nouvelle fois, cet auteur nous cueille au plus profond de notre âme sensible, à travers la voix de Rose, née en Corse en 1903, adoptée à sa naissance, enceinte à 16 ans, mariée à un berger qui l'entraînera sur le continent, à Toulon où en 1958 elle fait LA rencontre de sa vie. Sa vie bascule en effet lorsqu'elle fait la connaissance de Farida, émigrée algérienne qui vit dans un bidonville avec son mari et ses enfants. A son contact, la vie devient plus légère et plus douce et d'incongrue cette amitié devient un roc. Rose, la cinquantaine, mère et épouse courage acquiert sa liberté et sa raison de vivre. Celle qui acceptait son sort, dont la jeunesse a été volée et qui jamais ne s'est rebellée, découvre le militantisme et la solidarité, qui transcendent les différences. Toute la force du récit réside aussi dans la description d'une époque qui a marqué le destin des Français et des Algériens des années 50-60.

En 1962, année d’un coup d’état manqué au Ceylan, Triton, 11 ans, entre au service de Mister Salgado, comme factotum. Il y apprend vite l’art de la cuisine et découvre la passion et l’expertise scientifique de son patron pour les récifs et les océans. Triton est aussi le témoin naïf d’un monde qui va disparaître et d’un nouveau qui va surgir dans la violence, avec l’approche de la guerre civile, palpable dans les esprits. Instruction et gastronomie vont en faire un vrai autodidacte dans ce domaine qu’il pourra exercer à Londres, en exil. L’art culinaire est un véritable territoire d’expansion pour Triton qui a dû quitter l’école très tôt et appréhender la vie mondaine et cosmopolite de son patron en pleine période de décolonisation en douceur. La bienveillance de Mister Salgado accompagnera son développement spirituel et physique en lui ouvrant les portes de sa bibliothèque personnelle et en l’encourageant sur le chemin de la lecture et de la connaissance. Ce duo-là fonctionne à merveille malgré les vicissitudes du contexte historique du Sri Lanka, sous une plume lumineuse, encrée d’une magnifique fraternité.