Pour son exposé d'Histoire sur la Seconde Guerre mondiale, Livio, 17 ans, a choisi de parler des autodafés nazis et de Magnus Hirschfeld. Ce médecin allemand inconnu pour beaucoup a œuvré dans la lutte contre la discrimination envers les homosexuels. Il avait avait créé une institution dont la bibliothèque fut brûlée en 1933 par les nazis. Devant sa classe et son professeur, il revient sur la vie de cet homme et de ce qu'il a subi.
Petit à petit, il se dévoile aux yeux de tous. Et il faut du courage à cet adolescent pour énoncer sa vérité. Une qui ne pourtant ne devrait pas faire réagir ou choquer. Mais certains de ses camarades de classe se moquent de lui. Sa meilleure amie Camille, secrètement amoureuse de lui, a du mal à admettre ce qu'elle comprend à travers son exposé.
Brigitte Giraud arrive à retranscrire très exactement l'ambiance de ce cours. On ressent la tension, l'étonnement, la moquerie, on visualise Livio, la rougeur qui lui monte aux joues, le trouble de Camille, la méchanceté bête et l'ignorance. On aimerait que quelque chose de positif se passe pour rompre la tension et cette condamnation d'être différent.
Mais le malaise s'accentue car dans sa famille, Livio sait qu'il ne sera jamais accepté. L'onde choc se propage et nous gagne. Un roman empli de justesse, à mettre entre toute les mains.
Accompagnée de ses deux enfants Rose part en croisière en Méditerranée. Son mari qui boit de trop et trop souvent n'est pas venu mais cette coupure est une bonne chose pour Rose, elle a besoin de faire le point. Une nuit, le paquebot « un immeuble flottant (..) une ville rêvée, l’utopie à la portée des déambulateurs » recueille des migrants en pleine mer. Rose donne à un jeune migrant nigérien Younès le téléphone portable de son fils. C’est sa façon d’aider.
Ce geste partant d’un bon sentiment sans attendre un retour quelconque et sans chercher à paraître courageuse ou héroïque est un point d’ancrage. Dans la vie de Younes et dans celle de Rose. Ce personnage féminin s’interroge sur sa vie, sur ce qu’elle transmet à ses enfants et sur son couple. Loin d’être un cliché, Rose est un personnage contemporain par ses fragilités, ses réflexions, avec toutes ses ambiguïtés, tiraillée par l’envie d’en faire plus et celle de se protéger. De protéger sa vie et sa famille.
Ce sujet d’actualité est traité sans pathos ou larmoyant par Marie Darieussecq. Elle fait preuve d’un ton loin d’être grave où elle réussit à placer de la légèreté, à nous faire sourire et à rendre hommage à ceux et à celles qui tendent une main pour aider malgré tout. Sans leçon de morale ou de jugement, la politique migratoire est abordée par le prisme de Rose si proche de nous mais que que n'ai pas entièrement comprise.
Au final, il m'a manqué la petite musique et la grâce d'"Il faut beaucoup aimer les hommes". Et cette fois ci malgré une belle humanité sans fard , Marie Darrieussecq n'a pas réussi à me convaincre totalement.
Nous sommes en avril 2010 en Angleterre. Benjamin Trotter vient d’enterre sa mère et à cinquante ans, il veut se lancer dans une carrière d’écrivain. Son vieux père Colin fustige le politiquement correct, sa nièce Sophie professeure à l’Université vient de rencontrer Ian un moniteur d’auto-école. Quant à Doug son ami de longue date, son métier de chroniqueur politique le passionne toujours autant.
Même si le Brexit semble encore loin, l’auteur sonde l’âme et le cœur de ses compatriotes dans toutes leurs subtilités et leurs contradictions. Le nationalisme, la peur des immigrés, la question identitaire sont mis à nu. Sophie défend le maintien dans l’Union Européenne et se heurte aux idées de sa belle-famille. Benjamin ne sait sur pied danser tandis que son père associe le chômage à l’Europe.
En conteur hors pair, Jonathan Coe détaille finement les destinées individuelles de ses personnages, et celle, collective, d’une nation. Les événements qui ont façonné la vie anglaise de ces dernières années s’intègrent tout naturellement au récit, que ce soit les émeutes de 2011, l’euphorie de 2012 des jeux Olympiques (ce qui donne des pages hautement jubilatoires et très perspicaces ) ou la crise économique. Les années s’égrènent, les fractures sociales bien plus profondes qu’il n’y parait au premier regard ébranlent les convictions. A travers ce roman, on suit les choix personnels, les questionnements des membres de la famille Trotter. Et quand la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne jusqu’alors impensable se profile, elle provoque une béate incrédulité et des remises en question. Avec un humour ironique voire caustique, Jonathan Coe nous questionne subtilement et signe un roman creusé, drôle et pertinent. Un très, très grand plaisir de lecture !
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1975. En province, au groupe scolaire Denis-Diderot, les enseignants et leurs familles occupent des logements de fonction. Forcément tout le monde se connaît, les parents sont collègues et les enfants jouent ensemble. L’enseignement est basé sur les méthodes anciennes et les élèves sont menés à la baguette par le rigide directeur Lorrain. Lorsqu’un nouvel instituteur Florimont adepte d’une pédagogie différente arrive, on se doute que ce petit monde va connaître des remous d’autant plus que les classes vont devoir être mixtes et que l’émancipation des femmes fait frémir certains maris.
Á l’aube de l’adolescence, les amitiés entre enfants se délitent, les personnalités se cherchent et s’affirment. Sous des apparences lisses et courtoises, les rivalités et les jalousies entre parents s’aiguisent et dans le sillage de Mai 68, les femmes découvrent une liberté toute nouvelle. Avec un regard tendre et avec des personnages hauts en couleur dont certains sont truculents, Jean-Philippe Blondel décrit ces vies, les mentalités tout comme l’amorce d’une nouvelle société. Il nous retrace la fin d’une époque révolue par sa rigueur éducative et par ses schémas codifiés dans le couple. Les femmes deviennent indépendantes, les enfants mûrissent, la radio diffuse des chansons anglophones et la société se libère de ses corsets.
Une fois de plus, Jean-Philippe Blondel a su traduire parfaitement les sentiments, les perceptions et ressentis de ses personnages. Les pages se tournent toutes seules entre sourires, notamment quand il dépeint les réactions quasi épidermiques concernant les hippies, et petits pincements au cœur.
Sans être mièvre, cette chronique sociale et terriblement humaine est délicieuse, acidulée et vive. Petite précision : il est inutile d’avoir connu les années 70 pour apprécier ce roman plein d’entrain, hautement savoureux où l’humour n’est pas en reste. Si le dernier roman de Jean-Philippe Blondel m’était tombé des mains, j’ai dévoré celui-ci !
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À la prison de Montréal où il purge une peine de deux ans, Paul Hansen partage sa cellule avec Horton un biker de Hells Angel incarcéré pour meurtre. Qu’est-ce qui a conduit Paul en prison ? Évidemment, cette question nous titille et Jean-Paul Dubois ne nous livrera la réponse qu’à la toute fin.
Fils unique d’un pasteur suédois et d’une passionnée de cinéma engagé près de Toulouse, Paul a vu, impuissant, se déliter lentement le couple formé par ses parents. À sa majorité, il rejoint son père au Québec et trouve un emploi de factotum dans une résidence cossue où il a officié durant vingt-six années rendant service aux locataires et en leur prêtant également une oreille attentive. Avec Winona Mapachee, une Indienne algonquine pilote d'un Beaver monomoteur et Nouk un chien qu’ils avaient recueilli, le bonheur parfait était au rendez-vous.
Avec cette tendresse et cette pudeur qui le caractérisent, Jean-Paul Dubois nous parle de vies simples en apparence tiraillées par les doutes, bousculées à tout jamais par par la soif d’argent des autres, mais aussi de foi et de liberté, d’amour, de solidarité et de belles amitiés belles qui réchauffent le cœur. Et jusqu’à la dernière ligne, une belle nostalgie qui pince le cœur m’a enveloppée.
Ses personnages attachants et truculents par leurs côtés décalés (Horton qui sous ses airs peu commodes cache des peurs infantiles) ou simplement parce qu’ils sont criants de vérité m'ont plus que touchée.
Dans ce roman, vous l'aurez compris, l'humain est au centre.
Jean-Paul Dubois rejoint mon club d’auteurs chouchous. Parce que j’aime son écriture élégante, son humour absurde et souvent ironique, sa sensibilité et sa fausse nonchalance (avec des descriptions précises qui ne saoulent jamais le lecteur).
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