L'Alcazar

Simon Lamouret

Sarbacane

  • Conseillé par (Libraire)
    16 octobre 2020

    Beau comme un immeuble!

    Ce qui frappe en ouvrant la BD c’est la beauté d’une trichromie lumineuse: orange, bleu, noir, trois couleurs restreintes mais qui offrent toutes les autres palettes au lecteur. Nous sommes en Inde, à Bangalore exactement, mégalopole du sud de l’Inde, où vivent plus de 11 000 habitants au kilomètre carré. Installé en Inde à partir de 2013 pour enseigner le dessin, Simon Lamouret poursuit avec « L’Alcazar » sa description de la société indienne. L’Alcazar, un immeuble à construire sur un terrain vague, un chantier dont le suivi régulier sous le dessin de l’auteur va, plus qu’un traité de sociologie, révéler de nombreux aspects de cette société souvent mystérieuse à nos yeux: poids des traditions, conservatisme de Rajasthani hindous, corruption, mariages arrangés, rêveries de richesses de provinciaux déracinés, rôle des séries télévisées, croyances obscures. En quelques mois d’édification de l’immeuble, se dresse devant nos yeux ébahis, une photographie en pointillés, par petites touches légères, d’un monde archaïque et moderne à la fois, où les contraintes du présent se heurtent et cohabitent avec les traditions.

    Nous suivons ainsi plus particulièrement une dizaine de personnages, la plupart attachants car volontaires, soucieux d’une vie meilleure, se débattant avec des conditions de travail scandaleuses pour un salaire de quatre euros par jour, quand ceux-ci sont effectivement versés.
    Tout sonne vrai, juste, vécu. Pour toucher cette réalité et la décrire au plus juste, Simon Lamouret a eu l’autorisation de suivre un chantier des débuts à la pierre finale. Pendant douze mois, il a pu ainsi recueillir auprès des ouvriers dont il a su gagner la confiance, des témoignages réels, qu’il a juxtaposés dans un judicieux montage narratif. Ce sont eux les véritables sujets de cette Bd, « documentaire romancé » comme le qualifie l’auteur.

    A cette aventure humaine décrite avec précision et tendresse, s’ajoute une dimension graphique exceptionnelle. Fait au départ de « briques » et de broc, l’immeuble posé sur quelques pierres posées au sol devient en l’espace de quelques pages, un immeuble de standing et de luxe dont on peine à comprendre la belle réalisation finale. De doubles pages en doubles pages somptueuses, les chapitres se succèdent comme les étages se superposent, sous l’oeil d’un arbre magnifique, veilleur inattendu du travail des hommes. Et resté miraculeusement debout.

    En refermant la BD, on garde un goût amer de cette exploitation de main-d'œuvre au profit de quelques uns. Un goût d’universel même si la situation indienne décrite est exacerbée. Malgré tout, il faudra construire à Bangalor d’autres logements sur d’autres terrains. Avec un autre arbre. Avec d’autres ouvriers pour que recommence à nouveau l’histoire. Avec Mehboob, Mohamed, Pierre, Paulo, Juanito et tant d’autres.

    Eric